Déclaration des membres du Hub mondial de Genève pour l’éducation dans les situations d’urgence
Les enfants et les jeunes vivant dans des contextes de crise, affecté·e·s par les conflits et le changement climatique, sont les plus touché·e·s par les crises alimentaire, nutritionnelle et d’apprentissage qui se renforcent entre elles. Pour ces enfants et ces jeunes, la faim, la malnutrition et la famine sont des menaces en soi et nuisent à leur capacité d’apprentissage en retardant leur inscription à l’école et en provoquant des redoublements. Parmi les autres effets négatifs, citons le risque accru d’abandon scolaire, de violence sexuelle et sexiste, de mariage d’enfants et de mariage forcé, de grossesse précoce, de négligence des enfants, de travail des enfants et de recrutement dans des groupes armés [i] . Investir dans l’éducation, en particulier en faveur des personnes prises dans des situations d’urgence ou déplacées, c’est soutenir l’accès à une meilleure sécurité alimentaire, à la santé et à la protection.
La hausse des prix des denrées alimentaires, de l’huile de cuisson, des engrais et des carburants a contribué à créer une situation d’urgence mondiale qui entraîne une augmentation des besoins humanitaires, en particulier dans les pays touchés par le changement climatique, les conflits et la violence. Cette situation est due en partie à l’impact de la pandémie de COVID-19, à des facteurs socio-économiques régionaux et nationaux, à l’instabilité politique et aux répercussions des guerres, notamment en Ukraine. Cette crise de plus en plus complexe – avec des pays et des régions qui connaissaient déjà des difficultés et qui sont à présent confrontés à un manque de nourriture, d’eau potable et d’énergie,[ii] – entraîne des millions de personnes dans l’extrême pauvreté et la faim [iii] . Cela conduit souvent à une spirale infernale et a un impact dévastateur sur les enfants et les jeunes touché·e·s par la crise et déplacé·e·s. Le Programme alimentaire mondial estime que la crise alimentaire actuelle a plongé 23 millions d’enfants supplémentaires dans une insécurité alimentaire et nutritionnelle aiguë depuis le début de l’année, ce qui fait grimper le nombre d’enfants touchés à 153 millions. [iv] L’engrenage de la situation continue d’avoir un impact direct sur les communautés, provoquant des déplacements et interrompant l’éducation des filles, des garçons et des jeunes, tout en les exposant à une myriade de risques de protection.
La sécurité alimentaire figure parmi les principales préoccupations des familles qui n’ont pas les moyens d’offrir une éducation à leurs enfants [v]. Alors que la crise alimentaire et nutritionnelle mondiale s’aggrave, de plus en plus d’enfants et de jeunes abandonnent l’école, les empêchant de jouir de leur droit à l’éducation. Les familles sont obligées de choisir entre envoyer leurs enfants à l’école, les laisser chercher de la nourriture et de l’eau ou aller travailler. Les filles sont souvent les premières touchées, car, lorsque les familles sont confrontées à des difficultés économiques, elles sont plus susceptibles que les garçons d’être retirées de l’école. Pire encore, les filles sont exposées à des risques accrus, notamment de mariages d’enfants et de mariages forcés, de grossesses précoces et de violences domestiques. Même pour celles qui continuent d’aller à l’école, l’insécurité alimentaire et nutritionnelle est un obstacle majeur à un véritable apprentissage, car la faim affecte la capacité à se concentrer et à apprendre . La reconnaissance du lien entre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle et les pertes d’apprentissage doit figurer parmi les priorités de l’agenda international. Lors du Sommet sur la transformation de l’éducation en septembre 2022, la communauté internationale s’est engagée à transformer l’éducation. Cela signifie que nous ne pouvons pas laisser de côté les enfants et les jeunes les plus vulnérables, particulièrement celles et ceux qui vivent dans des contextes humanitaires .
La communauté internationale est appelée à agir pour que ces crises n’alimentent pas le cercle vicieux qui menace d’effacer les progrès réalisés. Les interventions qui ciblent l’insécurité alimentaire et nutritionnelle, la résilience climatique et l’éducation dans les situations d’urgence peuvent, et doivent, être mises à profit pour garantir des cycles vertueux et des gains durables. Le secteur de l’éducation a un rôle clé à jouer dans ce processus, et tous les acteurs doivent être engagés. Le système éducatif d’un pays est souvent l’infrastructure de services sociaux nationale la plus solide, qui soutient la mise en œuvre des programmes de protection sociale. Ainsi, l’éducation a le potentiel de répondre aux besoins alimentaires et nutritionnels immédiats des enfants, en particulier ceux d’âge scolaire, tout en répondant également à d’autres besoins humanitaires[viii].
En outre, le respect des règles du droit international humanitaire (DIH) relatives à la conduite des hostilités, à l’approvisionnement adéquat en nourriture et en eau, et à l’autorisation et à la facilitation de l’accès à l’aide humanitaire, peut contribuer à atténuer les impacts des conflits armés sur la sécurité alimentaire .[ix] . Parallèlement, le respect des règles du DIH et du droit international des droits de l’homme (DIDH) relatives à la protection de l’éducation x peut avoir un impact positif sur la sécurité des environnements d’apprentissage et sur la continuité des services, notamment en matière de santé, d’eau et de nutrition. Cela aura un impact sur la qualité de l’apprentissage et sur les possibilités pour les apprenant·e·s d’acquérir des connaissances et des compétences pour assurer leur vie et leurs moyens de subsistance.
La communauté internationale est appelée à :
- Donner la priorité à l’éducation dans les situations d’urgence et reconnaître sa valeur, au même titre que les programmes d’alimentation, de nutrition, de protection de l’enfance et de santé. La communauté internationale est appelée à agir pour soutenir les interventions d’éducation dans les situations d’urgence permettant de sauver et de maintenir des vies dans les pays confrontés à une insécurité alimentaire aiguë, afin de ne pas compromettre le bien-être immédiat et à long terme des enfants et des jeunes. Cela inclut des actions qui soutiennent l’enseignement pré-primaire et l’apprentissage précoce, conformément à la récente Déclaration de Tachkent [xi] . Il faut élargir et maintenir l’accès à l’éducation, considérer les besoins immédiats des enfants et des jeunes en matière d’apprentissage et de bien-être, préserver les acquis et renforcer les mesures de protection sociale existantes ou nouvelles en faveur des enfants et des jeunes vulnérables afin de contribuer à atténuer la crise alimentaire et nutritionnelle. L’éducation dans les situations d’urgence offre aux filles, aux garçons et aux jeunes une protection tout en leur fournissant des services essentiels, tel qu’un approvisionnement sûr en nourriture et en nutrition (un repas quotidien), en eau et en assainissement, en hygiène, en santé et en santé mentale, ainsi que des services de santé et d’hygiène menstruelles [xii] . Des efforts ciblés et des subventions sont nécessaires pour permettre aux enfants et aux jeunes de s’inscrire gratuitement à l’école, notamment grâce à des bourses d’études, pour recruter et retenir les enseignant·e·s, pour fournir un soutien psychosocial et de santé mentale, et pour atteindre les enfants et les jeunes les plus vulnérables – notamment les filles et les enfants handicapés.
- Protéger et augmenter le financement des programmes essentiels d’alimentation scolaire et de nutrition. Les programmes de repas scolaires font partie des dispositifs de sécurité sociale les plus importants et les plus efficaces pour les enfants d’âge scolaire. Ils permettent non seulement aux enfants, en particulier aux filles, de rester à l’école, mais ils contribuent aussi à l’amélioration des résultats d’apprentissage en fournissant une alimentation meilleure et plus nutritive. Par ailleurs, lorsque les denrées alimentaires sont d’origine locale, les programmes de repas scolaires soutiennent également les économies locales, créent des emplois et des moyens de subsistance dans les communautés et, au final, contribuent à rompre les liens entre la faim et la crise de l’apprentissage [xiii] . En cas de fermeture des écoles, il convient d’identifier des mesures alternatives de distribution de nourriture, telles que des plateformes communautaires et locales ou des transferts d’argent. Ces mesures peuvent être utilisées pour répondre aux besoins immédiats des enfants et des jeunes tout en contribuant à leur réintégration dans le système éducatif formel. Il est essentiel de veiller à ce que ces interventions touchent les enfants les plus jeunes et les adolescentes pris·e·s dans les situations d’urgence, y compris celles et ceux qui étaient privé·e·s de leur droit à l’éducation avant la crise.
- Donner la priorité au développement de solutions qui peuvent être exploitées pour avoir le plus grand impact dans tous les secteurs, y compris l’éducation dans les situations d’urgence. Les interventions pourraient inclure des systèmes d’alerte précoce coordonnés avec le système éducatif pour suivre l’évolution de la fréquentation scolaire, qui peut signaler les localités les plus touchées par l’insécurité alimentaire. Les solutions doivent également inclure la diminution des obstacles financiers à l’éducation, en veillant à ce que la protection sociale et les programmes humanitaires en espèces soient prêts à répondre à une crise et à s’étendre en fonction des besoins. Il peut également s’agir de renvoyer les plus vulnérables vers des mécanismes gouvernementaux de protection sociale à plus long terme [xiv] .
- Veiller à ce que les parties prenantes de l’éducation participent aux discussions et aux processus décisionnels stratégiques mondiaux, régionaux, nationaux et infranationaux qui traitent de l’impact de l’insécurité alimentaire sur le développement sain des enfants et des jeunes. Les programmes d’éducation dans les situations d’urgence sont essentiels pour atténuer l’insécurité alimentaire et pour mettre en œuvre des solutions aux crises complexes [xv]. L’éducation doit être placée sur un pied d’égalité avec les autres réponses humanitaires dans l’élaboration de solutions holistiques incluant la sécurité alimentaire, la nutrition, la santé, la protection sociale et la protection des enfants.
- Appeler les États et les parties à un conflit armé à respecter et à faire respecter le droit international humanitaire, et appeler au respect du droit international des droits de l’homme. Le respect de ces règles permettra de réduire le risque d’insécurité alimentaire et de famine [xvi], et de protéger la continuité de l’éducation pendant les conflits armés et autres crises.
[i] Recueil de ressources de l’INEE, Alimentation et nutrition : https://inee.org/fr/recueils/alimentation-et-nutrition
[ii] Messages clés de l’IASC, L’impact humanitaire mondial des prix élevés des aliments, des engrais et des carburants, 4 novembre 2022 : https://interagencystandingcommittee.org/deputies-group/iasc-key-messages-global-humanitarian-impact-high-foodfertilizer-and-fuel-prices.
[iii] Plan International, La faim dans le monde et son impact sur les filles, 3 août 2022 https://plan-international.org/publications/world-hunger-impact-girls
[iv] PAM, Une génération à risque, 16 septembre 2022 : www.wfp.org/news/generation-risk-nearly-half-global-food-crisis-hungry-are-children-say-wfp-african-union
[v] DMC, Informer d’un meilleur accès à l’éducation pour les personnes déplacées, novembre 2022 : www.internal-displacement.org/informing-better-access-to-education-for-idps
[vi] Plan International, ibid.
[vii] L’éducation dans les situations de crise : Un engagement pour l’action, septembre 2022 : www.un.org/en/transforming-education-summit/education-crisis-situations
Si les interventions d’éducation dans les situations d’urgence ne bénéficient pas directement aux enfants de moins de cinq ans, les plus exposés aux maladies et à la mort dans les contextes d’insécurité alimentaire, elles peuvent contribuer à réduire la pression sur les familles lorsque de meilleurs services sont assurés pour les enfants d’âge scolaire. L’ESU peut également mettre en évidence les zones de vulnérabilité et les besoins, notamment par le biais des écoles. UNICEF, Pauvreté alimentaire des enfants, octobre 2022 : https://data.unicef.org/resources/child-food-poverty/
[ix] CICR, La faim et la famine dans les conflits armés, juin 2022 : https://shop.icrc.org/starvation-hunger-and-famine-in-armed-conflict-pdf-en.html
[x] CICR, le DIH et les défis des conflits armés contemporains, novembre 2019 : www.icrc.org/en/document/icrc-report-ihl-and-challenges-contemporary-armed-conflicts
[xi] Déclaration de Tachkent et engagements d’action pour la transformation de l’éducation et de la protection de la petite enfance, 16 novembre 2022 : https://euimg.vfairs.com/uploads/vjfnew/10000082/content/files/1668595494tashkent-declaration-enpdf1668595494.pdf
[xii] Critères de sauvetage du CERF pour 2020 : https://cerf.un.org/sites/default/files/resources/CERF%20Life-Saving%20Criteria%202020.pdf
PAM, Une génération à risque, ibid.
[xiv] Cluster éducation mondial, Assistance en espèces et en bons pour l’éducation dans les situations d’urgence : www.educationcluster.net/content-page/cash-and-voucher-assistance-education-emergencies
[xv] Normes minimales de l’INEE : https://inee.org/fr/les-normes-minimales
[xvi] ICRC, Food Security and Armed Conflict, 24 October 2022: www.icrc.org/en/document/food-security-and-armed-conflict