L’ÉDUCATION DANS LES SITUATIONS D’URGENCE, L’ENJEU CLÉ DE LA RÉALISATION DE L’ODD-4

Déclaration des membres du Hub mondial de Genève pour l’éducation dans les situations d’urgence en amont du Sommet sur la Transformation de l’Education

En juin 2022, les responsables des secteurs de l’éducation et de la finance se sont réuni·e·s lors d’un pré-sommet à Paris pour discuter de leurs priorités en vue du Sommet sur la Transformation de l’Éducation, organisé par le Secrétaire général des Nations Unies. Le Sommet sur la Transformation de l’Éducation offre une opportunité unique de s’attaquer à la crise de l’éducation et de répondre aux besoins éducatifs urgents. Le droit des enfants et des jeunes à une éducation inclusive, sûre et de qualité ne s’interrompt pas en temps de crise ; au contraire, ce sont précisément ces situations d’urgence qui représentent le plus grand défi pour la réalisation de l’objectif de développement durable 4 (ODD-4) dans le monde entier.

Nous demandons instamment aux responsables et aux dirigeant·e·s mondiaux·ales de reconnaître l’ampleur sans précédent des besoins et de réagir rapidement afin d’éviter que des générations d’enfants et d’adolescent·e·s ne soient privées de leur droit à une éducation de qualité. Il est crucial qu’il·elle·s s’engagent, lors du Sommet sur la Transformation de l’Éducation, à mettre en place un programme ambitieux visant à assurer à tous les enfants et les jeunes un accès équitable à l’éducation.

Lors du pré-sommet, nous – membres du Hub mondial de Genève pour l’éducation dans les situations d’urgence (Hub ESU) – avons été encouragés de voir l’éducation dans les situations d’urgence et les crises prolongées occuper une place importante dans les discussions. Des représentant·e·s de la jeunesse ont livré des témoignages forts sur la manière dont la violence, les conflits, le changement climatique et les déplacements affectent leur éducation. Il est urgent de renforcer l’engagement et le soutien en faveur des enfants et des jeunes les plus laissé·e·s pour compte.

Nous sommes confrontés à une augmentation inquiétante des besoins découlant de l’éducation dans les situations d’urgence et les crises prolongées. Selon l’organisation Education Cannot Wait (ECW), il y a actuellement 222 millions d’enfants en âge scolaire touchés par une crise et nécessitant un soutien éducatif. Ce chiffre comprend 78,2 millions d’enfants non scolarisés et près de 120 millions d’enfants scolarisés, mais n’atteignant pas le niveau de compétence minimum en mathématiques ou en lecture. En réalité, seul un enfant sur dix touché par une crise atteint ce niveau de compétence dans l’enseignement primaire et secondaire. Parmi les laissé·e·s pour compte figurent les enfants et les jeunes déplacé·e·s à cause d’un conflit, de violences ou d’une catastrophe, qui représentent environ la moitié des plus de 100 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, de réfugié·e·s et de demandeur·euse·s d’asile dans le monde.

En effet, seuls 68% des enfants réfugiés ont accès à l’enseignement primaire, contre 90% dans le monde. Ce chiffre tombe à 34% contre 66% pour l’enseignement secondaire, et à 5% contre 40% pour l’enseignement supérieur. La situation est particulièrement alarmante pour les filles, les enfants et les jeunes handicapé·e·s. En outre, en 2020 et 2021, plus de 5’000 attaques ont été perpétrées contre des écoles et des universités, leurs étudiant·e·s et leurs éducateur·trice·s4. L’accès à une éducation de qualité, sûre et inclusive n’est pas seulement un droit fondamental, mais aussi un outil indispensable pour la protection, la sécurité et le bienêtre des enfants et des jeunes déplacé·e·s et touché·e·s par la crise.

Bien que la communauté internationale se soit engagée à ce que tous les enfants et les jeunes se voient accorder leur droit à l’éducation, nous nous éloignons de plus en plus de cet objectif. La pandémie de COVID-19 a gravement exacerbé cette crise de l’éducation ; selon des estimations sur les répercussions financières du COVID-19, les étudiant·e·s risquent de perdre 21’000 milliards de dollars US en gains potentiels au cours de leur vie, soit l’équivalent de 17 % du PIB mondial actuel.

Nous appelons les dirigeant·e·s mondiaux·ales à prendre des engagements de soutien qui répondent à l’ampleur des besoins :

Placer l’inclusion et la participation de tous les enfants et jeunes en tête de l’agenda éducatif

Les acteurs de l’éducation doivent s’assurer que tous les enfants et jeunes confronté·e·s à une situation d’urgence soient inclus·es et pris·e·s en charge, y compris les enfants et jeunes déplacé·e·s à l’intérieur de leur pays et réfugié·e·s, et qu’il·elle·s aient les mêmes chances d’accéder à l’éducation. Cela inclut les filles de tous les âges, toutes les personnes quel que soit leur genre, les enfants et les jeunes handicapé·e·s et les personnes issues de communautés minoritaires, vivant dans la pauvreté ou en situation de crise.

Les États membres doivent intégrer pleinement les enfants et les jeunes déplacé·e·s et touché·e·s par la crise dans leurs écoles, accélérer leur apprentissage de base et leur donner accès au soutien émotionnel et psychologique dont il·elle·s ont besoin. Cela inclut les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et les réfugié·e·s, ces dernier·e·s pouvant être confronté·e·s à des difficultés juridiques et administratives additionnelles pour être admis·e·s dans les écoles. Les pays donateurs doivent se tenir prêts à répondre aux demandes d’éducation pendant les crises, de manière à assurer l’inclusion de tous·tes les enfants et jeunes déplacé·e·s et touché·e·s par la crise.

Par ailleurs, il est essentiel de garantir une participation et un engagement significatifs des enfants et des jeunes touché·e·s par la crise et déplacé·e·s, ainsi que de leurs enseignant·e·s, parents, communautés et gouvernement, afin de permettre aux personnes confrontées à des situations de crise d’influencer les décisions qui affectent leur vie et de protéger activement le droit de leurs enfants à une éducation continue, sûre et de qualité.

Accroître la capacité des systèmes éducatifs à anticiper et à résister aux effets des futures crises

Les conflits, les catastrophes et le changement climatique menacent les progrès réalisés en matière d’éducation pour tous. À elle seule, l’urgence climatique menace l’éducation de près de la moitié des enfants – soit environ un milliard – qui vivent dans des pays où le risque de subir les effets du changement climatique est élevé. L’éducation de millions d’enfants et de jeunes est perturbée chaque année par la crise climatique. Nous demandons aux États membres de :

• Institutionnaliser une planification du secteur de l’éducation globale et adaptée aux crises afin d’identifier et d’analyser les risques pour l’éducation posés par toutes sortes de dangers, y compris les conflits et les catastrophes ; comprendre comment ces risques affectent les systèmes éducatifs et identifier les mesures qui peuvent aider à anticiper, prévenir, s’adapter, répondre et se remettre d’une crise ; s’assurer que ces mesures sont sensibles au genre et à la diversité, et incluent la réduction des risques, le changement climatique et l’éducation adaptée aux conflits.
• Mettre à disposition des environnements d’apprentissage sûrs et favorables en se conformant aux dispositions relatives à l’éducation du droit et des traités humanitaires internationaux ; renforcer les dispositions relatives à l’éducation de la législation nationale sur les catastrophes ; stimuler la mise en oeuvre du droit humanitaire international et d’autres organes juridiques pertinents – par exemple, en approuvant et en mettant en oeuvre la Déclaration sur la sécurité dans les écoles et l’Approche intégrée de la sécurité à l’école.
• Renforcer l’approche nexus et la coordination entre les acteurs du développement, de l’aide humanitaire et de la paix afin de créer des stratégies et des plans efficaces qui s’alignent sur les priorités nationales ; donner la priorité à l’éducation dans la préparation et la réponse de l’aide humanitaire, y compris l’action anticipée et le secours d’urgence.
• Renforcer les systèmes de données sur l’éducation pour qu’ils soient sensibles à l’âge, au genre et à la diversité ; inclure des données sur les risques ; mieux identifier et refléter les communautés déplacées à l’intérieure de leur pays, les réfugié·e·s et d’accueil dans l’éducation et les autres systèmes de protection sociale, notamment en ce qui concerne la protection de l’enfance, les violences sexistes, l’eau, l’assainissement, l’hygiène et la santé.
• Adopter et contextualiser les Normes minimales de l’INEE et les Directives du Comité permanent interorganisations pour travailler avec et pour les jeunes dans les crises humanitaires et prolongées, et veiller à leur mise en oeuvre.

Fournir des fonds suffisants et des solutions pour inclure les enfants et les jeunes touché·e·s par la crise

Les États membres dont les populations sont affectées par des crises et déplacées doivent dépenser leurs fonds pour l’éducation de manière équitable et inclure les enfants et les jeunes affecté·e·s par les déplacements et les urgences. Les budgets de l’éducation dans les pays touchés par des urgences et des crises prolongées doivent être protégés et augmentés, et les populations déplacées et réfugiées doivent être incluses dans les exercices d’évaluation des coûts et les allocations.

Les pays donateurs devraient accorder la priorité à l’éducation dans leur financement humanitaire – en visant l’objectif actuel de «l’Initiative mondiale pour l’éducation avant tout» de consacrer 4 % du financement humanitaire à l’éducation, voire l’objectif plus ambitieux de 10 % – et veiller à ce que cette priorité soit maintenue dans le temps. Les fonds devraient être alloués en particulier aux initiatives en faveur des populations les plus défavorisées.

Tous les États membres doivent s’efforcer d’accroître le financement, notamment en apportant une contribution adéquate lors de la prochaine conférence de haut niveau sur le financement d’ECW, qui se tiendra à Genève en février 2023. Les États membres doivent également diversifier et améliorer la base de financement de l’éducation dans les situations d’urgence, en encourageant les donateur·trice·s non-traditionnel·le·s, le secteur privé et les organisations philanthropiques. Ils doivent explorer des modèles de financement innovants et encourager une meilleure coordination pour permettre aux différentes modalités de financement d’agir de concert, afin de soutenir l’accès à l’éducation des minorités vulnérables touchées par la crise et de celles qui sont le plus laissées pour compte – aussi bien dans les situations d’urgence que dans les contextes de crise prolongée. Les pays donateurs doivent par ailleurs s’engager davantage à financer l’intégration, dans les systèmes éducatifs nationaux, des réfugié·e·s en vue du Forum mondial sur les réfugié·e·s de 2023.

Les États membres sont instamment invités à mettre en oeuvre des solutions orientées vers l’action qui contribueront à garantir que les enfants et les jeunes reçoivent une éducation de qualité avant, pendant et après une crise, y compris un apprentissage socio-émotionnel et un soutien psychosocial. Cela implique également un soutien aux enseignant·e·s et aux travailleur·euse·s de l’éducation, car l’accélération des progrès vers l’ODD-4 et la transformation de l’éducation ne sont possibles que si l’ensemble du personnel éducatif est professionnalisé, formé, motivé et soutenu – en particulier dans les crises où les enseignant·e·s sont souvent payé·e·s tardivement ou pas du tout, et sont confronté·e·s à des conditions d’enseignement difficiles.

Il s’agit par ailleurs de mettre à profit les nouvelles technologies, les pédagogies et les approches holistiques pour moderniser les systèmes éducatifs et les rendre plus inclusifs, résilients et adaptés. Il est particulièrement important de mettre en place des solutions évolutives fondées sur des données probantes qui accélèrent les progrès, afin de garantir que les enfants et les jeunes déplacé·e·s et touché·e·s par une crise acquièrent des compétences fondamentales en matière de lecture, d’écriture et de calcul, ainsi que des compétences transférables pour la vie et le travail.

Pour éviter d’être pris au dépourvu par les futures crises, notamment au vu de l’expérience de la pandémie de COVID-19, les États membres doivent reconnaître l’importance de la prévention, de l’action anticipée, de la préparation et de la réduction des risques. Nous devons tirer des leçons du COVID-19 et déployer davantage d’efforts pour garantir la poursuite de l’éducation pendant des périodes de crises.